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Corinne OUDOT Mon parcours professionnel

Portraits

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20/03/2024

Suite à l’appel de Philippe Hermes, un des bénévoles de l’association des anciens, et à notre longue conversation, je me dis que vous décrire ma carrière pourrait donner du courage à certains. A 54 ans, je me suis fait débaucher par une entreprise, renouant alors tranquillement avec l’activité de conseil. Je crois que c’est cette tranquillité d’esprit qui a interpelé Philippe. Voici l’histoire.

J’obtiens mon diplôme en 1991, avec une 3e année en Erasmus (c’était le début du programme), suivie d’une année en Californie où est né mon premier enfant. Quand nous sommes rentrés en France, trouver un travail ne semblait pas évident, les grandes sociétés me trouvaient intéressante, mais mon profil « aventureux » les inquiétait. Qu’à cela ne tienne, je suis préoccupée par l’état de la planète, et je m’inscris en DESS de management de l’environnement à l’INSA de Lyon, pour ensuite faire un master l’année suivante.

Je passe un an en DESS, puis une deuxième année entière en stage dans une entreprise de chimie, à essayer de limiter les rejets colorés de sa station d’épuration.  

Fin 1994, ELF, qui est le principal sponsor du master, refuse de m’embaucher alors que je suis major de promo. Grosse déception, je dois dire, d’autant plus que nous avons maintenant deux enfants, et un peu de mal à boucler les fins de mois. Heureusement, la société de ressources humain qu’ELF emploie pour tester ses candidats prend le temps de m’expliquer pourquoi ils ne recommandent pas mon embauche. Ils m’expliquent mon profil, mon type de personnalité, et me disent pourquoi je ne dois pas rejoindre une grande entreprise. En effet, mon profil « autonome » (ils ne disent pas « aventureux ») ne pourra pas s’épanouir dans un tel cadre. Et, non seulement, ils me consacrent une heure pro bono, mais ils m’expliquent aussi comment conduire mon parcours : « Entrez dans une petite entreprise de 80 à 150 personnes, par la porte ou par la fenêtre, en dix ans vous serez responsable des opérations. Ensuite, vous verrez ». Yapluka !

Une boîte d’intérim, à côté de chez moi, recherche un technicien pour faire fonctionner un laboratoire de production pendant un remplacement de trois mois, dans une entreprise de cent cinquante personnes, à laquelle je peux me rendre à pied. Je vais les voir en leur disant de me recommander, ils me refusent car je suis ingénieur. J’explique qu’ils n’ont personne à présenter, et qu’ils pourront toujours dire que j’ai menti, ce qu’ils acceptent. Me voilà donc devant le chef de service, à qui j’explique les fins de mois difficiles, qu’en me donnant le poste il me permettrait de poursuivre mes recherches, comment je vais faire marcher son laboratoire, etc., et il accepte ! « Par la porte ou par la fenêtre », comme recommandé ! 

Au bout de trois mois, le laboratoire fonctionne au top, j’en suis à proposer des améliorations de suivi de production (remplacer les recettes au crayon sur un petit carnet par des fichiers Excel qui permettent de tracer la production - on est en 1995 -). Le retour de la personne remplacée met en évidence les conflits entre elle et le chef de service, la situation est compliquée et les RH en ont parfaitement conscience. Ils m’embauchent donc, créant en fait un étage de hiérarchie et un poste. A l’époque cela m’a paru parfaitement naturel. Je mesure mieux l’effort maintenant.  

Il faudra trois autres mois pour que la situation s’apaise, et que l’équipe devienne sereine. J’ai fait très attention à diversifier le poste de la technicienne dont je suis responsable afin de lui permettre de retomber sur ses pieds. Finalement, nous avons doublé la productivité du labo en deux ans, en réduisant les gaspillages et les temps perdus, et résolvant une fois pour toute chaque problème rencontré, avec un travail d’équipe précis et surtout suivi. C’était bien.

Ensuite, chaque année nous avons eu un nouveau projet : ISO9002, puis 9001, puis 17025, puis une transformation Lean, liée au rachat de l’entreprise par le groupe Danaher Corporation. Chaque année aussi, une augmentation de périmètre pour moi. J’ai remplacé mon chef de service au bout de cinq ans, puis j’ai été invitée à devenir consultant Lean pour le groupe en Europe, puis aux Etats-Unis, en complément de mon poste opérationnel.  

En effet, j’étais responsable des opérations au bout de dix ans. J’étais aussi assez épuisée, puis l’acquisition par Danaher sous-entendait aussi de se retrouver dans un grand groupe et me retrouver avec un large périmètre de responsabilités, une grosse pression de résultats, mais aussi de très fortes prescriptions sur « comment faire ».

Pour charger la barque, trois enfants et une maison à 50 km de l’usine, je craque et me retrouve en dépression nerveuse, à l’arrêt complet pendant un mois, en mi-temps pendant trois mois. Quand mon énergie remonte un peu, je fais un bilan de compétences, ce qui me permets de comprendre qu’en fait, j’occupais deux postes : responsable des opérations et consultant Lean. Evidement cela faisait beaucoup avec les déplacements, la famille, les travaux (le fameux alter ego de la maison), etc. J’ai donc quitté mon poste (une rupture conventionnelle, là aussi c’était le début) pour créer une activité de conseil.

Pendant mon bilan de compétence j’avais fait plusieurs interviews pour évaluer les différents métiers possibles, et donc noué des liens avec ceux qui avaient bien voulu me recevoir. L’un d’entre eux cherchait des compétences comme les miennes, et mon entreprise a démarré sans trop de difficultés, avec deux bonnes années en termes de chiffre d’affaires.

J’ai eu la présence d’esprit de placer directement une réserve « de dépôt de bilan ». En effet, beaucoup de coûts sociaux sont perçus avec une, voire deux années de décalage, et il me semblait évident que je devais pouvoir me libérer sans risque pour le patrimoine familial. Réserve que j’ai mobilisée pour l’usage prévu, six ans plus tard, quand j’ai rejoint une petite société de conseil et de formation.

Les projets et les interventions s’enchainent, certaines de quelques jours, certaines de plusieurs mois. Il y a parfois des périodes de creux, surtout liées au fait que je ne m’occupe pas assez de la partie commerciale de l’activité, mais aussi à la dynamique économique, les budgets de conseil étant des variables d’ajustement dans les périodes tendues.

Je m’investis beaucoup dans un chantier d’insertion par le travail, j’en deviens secrétaire, puis présidente. Je comprends, au contact des bénéficiaires, ce que c’est de ne pas avoir de travail, pas les bonnes compétences, pas le bon « profil ». Cela fera naître en moi le besoin de comprendre la psychologie et la sociologie du travail, et me poussera à lire et me documenter davantage. Cela rend aussi mon travail de consultant plus efficace, car je réfléchis mieux à l’implication des ouvriers et des autres parties prenantes dans les projets, je leur donne plus de place et, surtout, j’arrive mieux à recueillir leurs contributions.  

Le chantier doit déménager, nous construisons un bâtiment à énergie positive sur le nouveau terrain. Là encore, je suis fascinée par le temps perdu et le gaspillage lié à l’organisation, tout autant que par l’énergie que nous arrivons à mobiliser autour d’un projet fédérateur. Nous arrivons à boucler la construction, je découvre le BTP et lie des amitiés qui m’accompagnent encore.

mon « autonomie ». Je travaille par à-coups, avec parfois de longs projets, parfois des retours tardifs, etc. Comme la carrière de mon mari est aussi très riche, et qu’il s’épanouie aussi, nous finissons par n’avoir en commun que l’éducation des enfants qui, bien sûr, font aussi mille activités chacun ! Chaque minute grappillée en dehors du cadre familial est consacrée à plus de travail, ou à essayer de se reposer un peu, chacun de son côté. On finira par s’en vouloir mutuellement, lui, faisant un grave accident cardiaque juste au moment où je me remets de la dépression. Je ne répond pas au model de mère au foyer dont il a bénéficié étant enfant - et de loin - mais je n’accepte pas non plus qu’il s’arrête de travailler pour remplir le rôle de père au foyer, alors que je gagne plus que lui.  

Bref, on arrive à une séparation en 2012, les deux ainés sont déjà partis de la maison, et notre fille de 12 ans souhaite rester avec lui. Je me retrouve donc seule. 

Heureusement, mes deux dernières missions étaient en statut salarié au sein d’une société de conseil, et je bénéficiais donc d’allocations chômage qui me permettent de me reposer et d’attendre de trouver de prochaines missions.

En 2014, grâce à un contrat de projet Six sigma en Belgique extrêmement rémunérateur, j’arrive à emprunter pour m’acheter une maison à Lyon. Je découvre aussi que je suis allergique au gluten et je change de régime alimentaire et de vie. L’arthrose qui commençait à m’envahir se résorbe en quelques mois, et je recommence le sport.  

A cette période je suis aussi à la recherche de plus de sécurité et d’équipe. Je travaille à partir de mes acquis de ma période Danaher et je trouve que cela commence à tourner en boucle. Une entreprise de conseil et de formation de la région de Grenoble recrute, je postule. C’est une PME de trente personnes, je pense que cela va me convenir. Au début, je donne des cours de Lean, puis je valide mon Black belt Six sigma et je deviens la manager de l’équipe de consultants spécialistes. Nous travaillons avec enthousiasme à améliorer la pédagogie des modules de formation. La matière est assez aride, pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit de management de projet avec mise en œuvre de statistiques, que nous voulons aussi digitaliser. Vous pouvez imaginer qu’en 2020, ils étaient assez contents que nous fassions cela. Le travail roule bien, mais il n’y a pas vraiment de perspective : le comité de direction est composé d’hommes, très satisfaits de ce qu’ils font, et qui ne voient pas bien pourquoi ça changerait. J’aime cependant beaucoup l’équipe, on anime l’équipe que conseillent les consultants (on est bien placés), on s’organise pour faire équipe en étant dispersés, on teste des formats de réunion, on invente des exercices, etc. Au bout de trois ans, je suis contactée par d’anciens collègues de Danaher qui ont besoin de moi dans le cadre d’un projet de transformation. C’est pour un grand groupe, mais on travaillera en équipe. C’est très bien payé, pour moi c’est une progression de 22 %, et c’est aussi basé à Pau, c’est-à-dire beaucoup plus près de mon ex-mari et de notre fille. Je saute le pas.

Pendant dix mois, j’ai co-rédigé le plan de transformation, dirigé l’équipe technique, discuté avec les représentants du personnel, construit des projets pour 3 des 7 usines d’agroalimentaire concernées. J’ai aussi ruiné définitivement mon bilan carbone, avec deux à quatre vols par semaine, mais je réussis à voir ma fille toutes les deux semaines, ce n’est pas si mal. Le plan de transformation est validé par les instances, l’équipe est progressivement débarquée, et je suis très souvent contactée par des chasseurs de tête. Les mots clés « Master Black Belt » et « Lean Six Sigma » sont très tendance…  

Je vous propose une petite frise temporelle, car à ce stade, si vous lisez encore, vous devez être totalement perdus.

Une offre autour de Lyon, et un chasseur talentueux retiennent mon attention, je passe quelques tests. Je vais sur place les rencontrer, le poste est en direct avec le VP Opération, au même niveau que les directeurs de sites ; c’est bien pour faire une transformation. Je démissionne, avant d’avoir reçu un accord ferme, et sans même penser à profiter de « plan de sauvegarde de l’emploi » sur lequel je travaille.  

Je démarre dans cette nouvelle société après les vacances de la Toussaint, que ma fille a passées avec moi à Lyon, pour notre plus grand bonheur (j’ai fait quelques progrès quant à la gestion de mes priorités). 

La vie dans cette entreprise est assez chaotique, la pression est forte, avec une croissance rapide qui désorganise les usines. Quatre cette fois, dont une près de Chicago, mon bilan carbone ne s’améliore pas.

Il faut remplacer au pied levé des fonctions locales tout en assurant les fonctions centrales, et l’entreprise est déjà très financiarisée. J’ai été embauchée pour conduire un projet de transformation, mais il s’est avéré rapidement qu’on attendait de moi que je fasse ce que les consultants choisis par le fond propriétaire veulent. Ma période d’essai est renouvelée, et je réfléchis sérieusement à la rompre moi-même. Je me dis aussi que ce sera formateur, et l’une des usines m’intéresse beaucoup pour son système de gestion des compétences. Le projet se déroule avec difficultés, les équipes de consultants changent, une partie non négligeable des ressources passe dans la construction du fichier qui sert à suivre les gains, ce que j’ai du mal à supporter.  

La croissance est rapide, mais l’ambition est plus grande encore. Mon chef embauche une personne entre lui et moi, en me garantissant qu’il n’a pas l’intention de me débarquer, mais il lui faut l’homme du fichier de calcul des gains. Et l’ironie du sort est que son chef embauche aussi une personne entre eux. En deux mois, le CEO, qui était mon N+2 devient mon N+4. Arrive le nouveau chef, que je dois accueillir et intégrer, puis le premier confinement et 100% de télétravail.

Mon expérience avec l’équipe de consultants Six Sigma joue à plein régime, et nous arrivons à bien travailler. En fait, nous profitons de l’opportunité pour rédiger le système d’amélioration continue et, en trois mois, nous avons une structure complète que nous avons validée avec les usines et le comité de direction.  

Bien entendu, mon nouveau chef trouve que mon profil n’est pas celui dont il a besoin, et me propose une rupture conventionnelle. La phase de négociation est rapide, vu qu’ils sont pressés et moi assez ferme, et je bénéficie de trois mois non effectués, qui me laissent le temps de rebondir (et de faire du vélo). Je recrée mon profil APEC, avec toujours les mots clés magiques, je remets mon profil LinkedIn en « Open to work » et les contacts arrivent rapidement.

La première offre concrète que je reçois est un poste de PMO pour un projet de réorganisation. Concrètement c’est très bien payé, mais il s’agit de fermer une usine, dans un environnement très tendu. Je la refuse poliment : arrivée à 53 ans, je sais que je suis une femme de mission, mais pas un mercenaire. 

Cependant un de mes contacts sur LinkedIn propose à la vente des jouets pédagogiques qui m’intéressent. Je le contacte, nous discutons. Il prend sa retraite de consultant formateur, et me propose en effet de me vendre ses jeux. Il me donne aussi ses différents contacts, et propose notamment mon profil à IMMA, qui fait du Lean appliqué à la construction.  

Deux anciens clients me rappellent, une autre société de conseil me propose des missions. Je décide également de travailler avec une société de portage salarial, j’ai déjà géré ma propre société et le chantier d’insertion, je suis prête à payer pour que l’administration soit bien faite par des professionnels.

Arrivée en aout 2021, j’ai facturé environ 30 000 €, et autant à suivre pour la fin de l’année. Mes revenus sont complétés par Pôle Emploi, ce qui me laisse le temps de monter en charge doucement. Mon objectif pour 2022 est d’être avec des clients un jour sur deux, pas plus, avec une facturation autour de 90 000 e, ce qui me ferait 50 000 € de revenu, ça devrait être suffisant.

En résumé, la liste des conseils de mamie : 

  • J’ai toujours travaillé autant que j’ai pu, mais j’ai aussi appris, parfois avec une certaine souffrance, à me limiter à ce que j’aime et pour quoi je suis talentueuse 
  • Je suis encore workhoolic, mais comme les sujets sont intéressants, c’est plus nourrissant.
  • J’ai utilisé les moyens que notre merveilleux système social met à notre disposition : ASSEDIC, formations, bilan de compétences, etc.  

A 47 ans, j’ai découvert que j’avais mal au ventre « depuis toujours », en arrêtant le gluten. Franchement, si vous avez des maladies chroniques, essayez de modifier votre alimentation. Tous les aliments ne conviennent pas à tous, c’est comme ça, et vous avez le droit d’essayer d’aller mieux.

J’ai rendu plein de services à plein de gens, au moins cinq ou six personnes ont été embauchées grâce à des mises en contact ou des recommandations que j’ai pu faire, et ce réseau m’a aussi rendu bien des services. 

Essayez de savoir quelle est votre relation au travail, lisez par exemple « Le boulot qui cache la forêt » (https://www.editions-larousse.fr/livre/le-boulot-qui-cache-la-foret-9782035940070). 

Merci d’avoir lu.  

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