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Eliska-BYSTRICKY ENSIGC 1996 De la multinationale vers l’entreprise indépendante

Portraits

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20/03/2024

6 janvier 1997, j’ai 23 ans. C’est le premier jour de mon stage ingénieur. Beaucoup de stress à l’idée de plonger « dans la grand bain ». A l’époque je ne le sais pas encore, mais cette étude sur la valorisation du biogaz de décharge signe le début d’un parcours très orienté vers l’environnement. Une fois le diplôme en poche, je décroche mon premier poste lors d’un forum sur l’emploi pour jeunes diplômés, organisé à Bruxelles. Le job en lui-même est pour une multinationale, ICI Polyuréthanes, basée en Belgique. Je travaille alors dans le marketing, ce qui me plaît bien, mais je ne suis pas prête à m’éloigner complètement de la technique. Quelques mois plus tard, je suis recontactée par l’équipe où j’avais fait mon stage, et je quitte la Belgique pour retrouver la Direction de la Recherche de Gaz de France. Je découvre la gestion de projet, les relations clients – en interne pour l’instant – les partenariats de recherche européens, la supervision de thèse, les conférences pétrolières où je suis la seule femme et la seule de moins de 50 ans… Je travaille sur des sujets variés comme la déshydratation et désulfuration du gaz naturel et la mise en place d’unités de traitement d’effluents liquides sur les stockages de gaz, l’optimisation de la prévention d’hydrates dans les canalisations de gaz naturel, la recherche sur l’utilisation de membranes pour déshydrater le gaz naturel en exploration-production (E&P), le captage et stockage de CO2, une étude prospective sur les évolutions des émissions de CO2 du Groupe.

Après 5 ans à la recherche, je rejoins le service Marketing Opérationnel de la Direction Négoce pour développer un service de  gestion des quotas de CO2 pour les clients industriels de Gaz de France. On est alors fin 2003, le marché européen des quotas va officiellement démarrer début 2005, et je vais sillonner les routes de France (et un peu au-delà) pendant 3 ans pour expliquer aux industriels à quoi ils doivent s’attendre, et comment ce nouveau marché va les impacter. Près de 20 ans après, l’EU ETS1 est toujours au cœur de mon travail. Ce poste me donne une très bonne vue d’ensemble des plus gros secteurs industriels européens, de leurs process en place, de leurs problématiques. J’apprends aussi à coordonner le travail de différents acteurs qui interviennent dans le montage de l’offre : vendeurs, marketeurs, comptables, juristes, back-office, traders de chez Gaselys ; je monte et dispense des formations pour les vendeurs, et présente aussi ce nouveau marché au cours d’une bonne dizaine de conférences pour l’industrie. A côté, j’interviens en interne en tant qu’experte sur la réglementation environnementale en lien avec le changement climatique – pour les collègues qui travaillent sur des projets en E&P ou sur de nouvelles installations de production – ou encore dans le cadre d’un groupe de travail sur l’impact de la mise en place des Certificats d’Économie d’Énergie pour le Groupe. 

Un jour, sans objectif précis, je mets mon CV en ligne sur un site d’emplois en lien avec l’environnement. Alors que j’arrive en fin de poste à la Direction Négoce et, qu’en interne, on ne me propose que des postes déconnectés de l’environnement, je suis contactée par Ecofys, une petite entreprise néerlandaise qui a récemment ouvert un bureau à Paris. C’est une entreprise de conseil, créée en 1984 par 6 jeunes physiciens néerlandais qui avaient déjà à l’époque une très forte sensibilité environnementale. Quand je les rejoins en 2007, leur petite start-up est devenue une entreprise de plus de 500 personnes, basée dans 13 pays. Au cœur de métier de conseil se sont ajoutées des filiales opérationnelles dans le développement de projets solaire photovoltaïque, éolien, bioénergie, et même dans le trading de crédits carbone. Quitter Gaz de France n’a pas été facile – à l’époque on faisait encore toute sa carrière dans le groupe – et la plupart de mes collègues avaient du mal à comprendre ma décision ; plusieurs d’entre eux m’ont même demandé si j’avais pensé à ma retraite, je n’avais alors que 33 ans !

Passer d’une grosse entreprise semi-publique à une filiale de petite entreprise demande quelque peu d’adaptation. Surtout qu’à ce moment-là on est encore en mode start-up et on commence à être un peu trop nombreux dans un tout petit espace. Réussir à se concentrer quand les collègues tout autour sont au téléphone tient de la gageure, et gérer une réunion virtuelle avec un client en étant installée dans l’entrée devant l’ascenseur, faute de salle de réunion disponible, semble surréaliste. Le bureau continue à grossir et je me retrouve rapidement à la tête d’une équipe de 9 consultants. Heureusement, on a déménagé et chacun a maintenant son propre bureau. Comme souvent dans les petites filiales, on travaille en transverse, même sur les sujets qu’on ne maîtrise pas. Je me retrouve à intervenir dans des conférences sur le bâtiment durable, à évaluer un pilote électrique solaire, à participer à des réunions interministérielles sur l’étude de l’impact du changement climatique et l’évaluation des coûts d’adaptation associés, à gérer la mise à jour du label Gold Standard sur les crédits carbone, et à piloter la communication de notre filiale auprès de journalistes, en supervisant la publication d’articles de presse et en participant à quelques interviews. Je commence aussi, à ce moment-là, à donner quelques cours en école d’ingénieur, axés sur l’énergie et l’environnement, et englobant les principaux sujets sur lesquels j’ai travaillé.  

Ecofys se développe bien, dans la joie et la bonne humeur, jusqu’à ce que la crise économique pointe le bout de son nez. On résiste plutôt bien dans un premier temps, mais les nombreux projets opérationnels du groupe sont vite stoppés par les banques de plus en plus frileuses pour financer des projets trop innovants. C’est l’effet domino, et la plupart des filiales du groupe sont contraintes de fermer leurs portes les unes après les autres. Les bureaux français ferment parmi les derniers, avec un passage par la case faillite, et une nouvelle expérience à la clé pour moi : je représente les salariés dans les procédures au Tribunal de Commerce. Des mois très compliqués à gérer, surtout en tant que chef d’équipe, mais très formateurs. L’entreprise est finalement rachetée par une société de conseil française, mais je choisis de ne pas suivre car, après deux ans et demi passés à développer les équipes et leurs activités, je ne me sens pas de devoir, dans les faits, tout recommencer.

Je me lance dans une recherche de boulot qui dure à peine 3 mois, car mon compagnon se voit proposer un poste en expatriation aux Pays-Bas. Ecofys, qui a encore des bureaux là-bas, a entre-temps recommencé à embaucher, et me propose un poste. Début 2010 je retrouve donc Ecofys, mais cette fois au siège social, à Utrecht. C’est une année très formatrice, car moi qui avait jusque-là travaillé en majeure partie pour des clients du secteur privé, je suis en charge d’un gros projet pour la Commission européenne, sur l’appui aux États Membres dans la préparation de la phase 3 de l’EU ETS. Je coordonne alors la rédaction de guidances ainsi que la gestion d’un helpdesk sur le sujet, et j’organise des formations pour l’ensemble des Autorités Compétentes en Europe. Je retrouve donc mon sujet de prédilection, que je n’ai plus quitté depuis.  

Je commence rapidement à avoir des envies d’indépendance, et après un an de travail salarié aux Pays-Bas, je lâche tout pour me mettre à mon compte. Je profite de mon expertise sur la phase 3 de l’EU ETS pour monter des formations pour les industriels français sur la phase de collecte de données à laquelle ils devront participer sous peu ; cela arrange bien la personne en charge du sujet au MEEDDAT (le nom à l’époque du Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire), qui me procure une salle et accepte d’intervenir en introduction à mes formations. J’obtiens quelques autres petites missions par-ci par-là. Quelques anciens collègues d’Ecofys ont entre-temps monté une structure regroupant des consultants indépendants, SQ Consult. Je rejoins rapidement cette structure et ensemble nous gagnons un très gros contrat pour la Commission européenne, sur l’analyse de toutes les données européennes pour le calcul des quantités de quotas alloués gratuitement aux industriels pour la phase 3 de l’EU ETS. Ce contrat m’assure du travail à plein temps pendant plusieurs années, et d’autres suivent rapidement, avec encore aujourd’hui en client principal la Commission européenne.

Après avoir testé le statut néerlandais de ZZP (« Zelfstandigen Zonder Personeel », ou encore « indépendant sans personnel ») pendant quelques années, je reviens en France en 2013 et y ouvre une Entreprise Individuelle – je travaille donc sous le statut de profession libérale, que j’ai toujours aujourd’hui. 

Cela fait maintenant plus de 10 ans que je travaille à mon compte. Ne pas voir ses collègues au quotidien et travailler quasi exclusivement à distance n’est pas facile tous les jours, mais c’est largement compensé par l’extrême flexibilité dans mon travail, qui me permet de travailler aux horaires qui me conviennent le mieux, et depuis à peu près n’importe quel endroit. Le plus difficile à gérer sont les fortes variations de rentrées d’argent d’une année sur l’autre, selon qu’un paiement tombe fin décembre ou début janvier, surtout sur des projets avec une facturation au mieux annuelle. C’est d’autant plus compliqué que les charges sont réévaluées constamment sur base des deux années précédentes, et qu’il est, de ce fait, difficile d’en estimer les montants. Mais j’ai la chance de n’avoir jamais manqué de travail et d’avoir une assez bonne visibilité sur les mois, voire parfois les années à venir, ce qui est finalement parfois plus confortable qu’un travail salarié.

Si on m’avait dit il y a 20 ans que je travaillerais en tant qu’indépendante j’aurais eu du mal à y croire, mais aujourd’hui je ne reviendrais pas en arrière !  

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